La Torre Intimata

la torre intimata

La torre intimata

L’art de soi et les « codes » esthétiques des autochtones.

           Au bord de la Vinele, un petit ru de la capitale lituanienne, il y a un quartier nommé Uzupis. S’y est développé un quartier d’artistes, comme ce fut le cas dans le Montmartre parisien du XIXe siècle. Une centralisation de différentes personnalités qui cherchent, au travers des traités picturaux ou des éphémères discussions orales, à accorder les anciens et nouveaux codes esthétiques et philosophiques.

La terre lituanienne connaît une particularité historique qui concerne toute l’Europe : le dernier témoin païen.

Il y a deux mille ans, l’évangélisation ambitionnait de conquérir toutes les terres mondiales. Le christianisme s’est propagé petit à petit pendant que les anciennes croyances étaient contraintes à l’exil et à l’errance. Et c’est dans ce petit coin au bord de la mer Baltique que les héritiers de Vercingétorix trouvaient refuge. Gediminas, roi de Lituanie, basait encore sa politique sur l’ancienne science incertaine des rêves interprétés par les mages-sorciers. Mais la condamnation de l’hérésie gagna ce terrain avec la gouvernance polonaise. Le dernier pays de la païenne Europe fut évangélisé à son tour.

Deux mille ans plus tard, vint 1989. Pour la première fois depuis le Moyen-Âge, les pays Baltes reçurent la possibilité de retrouver leur identité ethnique en se détachant du joug soviétique.

 

La mythologie lituanienne est un miroir inversé de la mythologie grecque. Au nord de l’Europe de l’Est, la lune était un homme et le soleil une femme, tandis que dans le prestigieux sud européen; de même,  le soleil était le dieu masculin, héritier d’Amon-Ré et les cycles lunaires étaient légués aux soins des connaissances féminines.

 

Au nord de la Grèce, il y a les Balkans. Et parmi toutes les villes du récent Kosovo, a survécu Prizren. Cela fait quatre mille ans que les premières pierres y furent posées. L’histoire s’est inscrite dans l’architecture. Aujourd’hui on y retrouve encore les vestiges d’une fortification romaine. L’empreinte de Jules César pour baliser la porte de l’Orient. Bien avant les Grandes Découvertes des Temps Modernes, ces terres du sud rencontrèrent un autre monde monothéiste qui fait partie de la structure européenne. Et les minarets en sont les témoins actuels.

 

Le nord et le sud s’opposent et sont antagonistes. Cela se voit dans la lecture des pigments utilisés. A Uzupis, le rose et les tons pastel rappellent les fleurs qui poussent au bord de la Vinele. Tandis qu’à Prizren, on retrouve le profond rouge de garance autour duquel se sont débattus les normes économiques et pécuniaires des guildes à l’époque des teinturiers et des primitifs flamands du XVe siècle.

L’un et l’autre ne parlent pas le même langage. Et pourtant, ils se sont rencontrés en Belgique pour la réalisation d’une fresque commune.

 

Fresque commune :

 

-Gilles Hébette (Belge)

-Roberto Baiza (Salvadorien)

-Vygantas Vejas (Lituanien)

-Tomas Chepaitis (Lituanien)

-Maksut Vezgishi (Belgo-Kosovar)

-Anouk Batugowski (Belge)             

Vinele Vinele
Prizren  prizren

Les Couleurs

Prisme

 

La couleur est une longueur d’onde (comme le son de radio) que lit l’œil. Tout comme le prisme lit les couleurs de l’arc-en-ciel, nous pouvons voir la couleur que grâce à l’atmosphère qui entoure notre terre. C’est la raison pour laquelle le couché du soleil apparaît sur des tons rouges (inclinaison de la lumière du soleil dans un angle particulier qui passe à travers l’atmosphère agissant comme un prisme). Si l’on sort de notre planète et allons dans l’espace, les couleurs n’existent plus.

L’œil « capte » ces ondes et envoie l’information au cerveau qui les traduit et lui donne l’apparence qu’on en a. Cela se fait donc dans un travail complexe. Ce qui explique la relativité de la perception que l’on peut en avoir.  Lorsqu’on présente un turquoise (bleu-vert), certains verront dominer le bleu, tandis que d’autres y verront plus le vert (exemple des daltoniens). Cette différence de perception s’opère dans le travail du cerveau. En effet, ce dernier reçoit beaucoup d’information (5 sens) et se trouve obligé de les sélectionner pour s’y retrouver. Cette hiérarchisation se fait selon plusieurs facteurs : la sensibilité de l’individu (qui dépend de son vécu, selon sa psychologie personnelle ; de ses capacité physiques, selon des déficiences ou perfections de ses sens ; du cadre social et de la société où il a été structuré) et de l’intérêt du moment. La sensation physique est généralement de courte durée, elle disparaît lorsque l’œil se détache de la couleur, certaines images laissent des traces plus indélébiles (exemple du citron jaune qui est une image forte ou du soleil qui peut blesser à jamais l’œil).

 

Historique de la perception des couleurs

 

         La perception symbolique des couleurs dépende d’une société à une autre et réponde à une construction culturelle complexe. Ce qui fait qu’une même couleur peut avoir une signification différente en fonction de la civilisation qui en parle : par exemple, bien que nous ayons aujourd’hui l’habitude d’associer le noir au deuil, en Asie, c’est plus souvent le blanc qui est associé à cet effet. Ou encore, si nous savons aujourd’hui que le vert est entre le jaune et le bleu, cela n’avait aucun sens pour l’homme du Moyen-Age pour qui le vert était une couleur médiane entre le blanc, noir et rouge. Il semblerait que l’homme médiéval ne voyait dans l’arc-en-ciel que trois couleurs : le rouge, le jaune et le sombre. Pourtant, nos yeux sont biologiquement les mêmes et l’arc-en-ciel est toujours le même.

 

Les couleurs ont été exploitées par les hommes depuis la préhistoire. Et ce dans une utilité magique, pour marquer des rituels et cérémonies de mort dans les grottes ou sur certains corps. L’homme découvrait alors les pigments qu’il avait à sa disposition. Dans l’Antiquité occidentale, certaines normes ont été instaurées pour chaque groupe social et les circonstances : le rouge était la couleur de l’armée et des guerriers, mais ne pouvait être porté dans l’enceinte de la ville de Rome en période de paix. Les traditions se sont perpétuées au Moyen-Age ou les coloris des blasons familiaux étaient codifiés. A la fin du XIIIème siècle, des lois écrites ont imposé le port de certaines couleurs selon la catégorie sociale : le rouge et les couleurs vives étaient réservés aux riches, tandis que les noir et brun étaient associés au monde des paysans et à la magie populaire. Les couleurs médiévales étaient importantes, du fait de l’analphabétisme de la majorité de la population. Elles étaient présentent partout : vêtements, vitraux,… et avaient leur signification propre. Même si certaines symboliques ont changé du tout au tout avec le temps, des habitudes visuelles sont restées ancrées dans la perception.

 

L’expansion commerciale a fait apparaître de nouvelles couleurs, plus denses et plus riches, principalement dans le rouge (bois de Brésil, garance en teinture,…). Ce qui a impliqué l’imposition de certaines couleurs par les mécènes. Les peintres choisissaient les pigments en fonction de leur évocation symbolique et du prix décidé par le mécène. A la différence des artistes contemporains qui sont plus libres dans le choix du coloris. Aux XVème- XVIème siècles, la peinture à l’huile est apparue. Ce qui a permis de meilleurs mélanges entre les couleurs. C’est à ce moment qu’un dialogue entre les couleurs chaudes et froides a été développé sur les peintures.

L’ère industrielle a amené de grands changements dans le rapport à la couleur. Les pigments longtemps considérés comme nobles ont perdu leur statut face à l’exploitation chimique qui créait de nouvelles couleurs plus prisées. Ces couleurs de synthèse sont généralement plus faciles à utiliser, mais sont moins résistantes aux aléas du temps.

L’apparition de la photographie (qui reproduit avec exactitude le réel) a amené une plus grande liberté pour les arts plastiques. Les peintres impressionnistes ont commencé le « détournement de la couleur ». Et, avec l’abstraction, la couleur devient un thème en lui-même dans le tableau.

 

La perception de la couleur a alors acquis une valeur plus personnelle et la considération du vécu psychologique a été de plus en plus prise en compte. Par exemple, si une personne a vu, dans son enfance, un clown rouge et vert le faisant rire, ou l’effrayant, ce souvenir restera associé à ces couleurs lorsqu’il les verra.  De la même manière que le chien Pavlov qui a associé le son de la cloche à la nourriture par le conditionnement de son maître. Celui-ci avait pris l’habitude d’annoncer le repas de son chien par le tintement d’une cloche, de sorte qu’au bout d’un moment, l’animal bavait au son, même s’il n’y avait aucune nourriture qui l’attendait. Il existe certains « tests psychologiques » qui interprètent une personnalité en fonction du rapport à la couleur selon des critères sociaux ou personnels.

 

clair-obscur                                                                                                     Couleurs

 

 

La symbolique des couleurs

 

L’ère du noir et blanc a commencé XIXe siècle, lorsque l’imprimerie moderne a pris le relais des manuscrits et leurs enluminures.

 

Avant d’acquérir leur statut particulier de non couleurs, le noir et le blanc étaient considérées au même titre que les autres. C’est en 1667 et la décomposition de la lumière blanche et l’apparition de la palette de l’arc-en-ciel à travers le prisme démontré par Isaac Newton que la perception scientifique des couleurs a évolué. Le rouge, le bleu et le jaune ont été révélés comme les trois couleurs indécomposables, à la base de tous les autres mélanges.

 

Le blanc est associé depuis l’Antiquité à la pureté, l’innocence, la virginité, ceux dont le corps et l’esprit sont propres. Les étoffes blanches habillaient les servants des cultes ou les jeunes veuves, signifiant le vieillissement et le renoncement. En France, dès le XIIIe siècle et jusqu’au XVIe siècle, les reines veuves sont appelées les reines blanches.

Le noir qui est une absence de lumière a toujours eu une double signification : de début, comme matrice des origines et de fin, comme disparition et de mort. Le noir était aussi un signe d’humilité, d’une personne qui cache son identité, bon comme mauvais. Cette couleur était dévalorisée devant le rouge et prenait un caractère néfaste.

Le rouge est la couleur par excellence, la couleur archétypale, une des premières couleurs. La symbolique du rouge est presque toujours associée à celle du sang et du feu. Il est donc bon et mauvais à la fois : à la fois la vie (associée au feu qui nourrit depuis la Préhistoire) et la mort (c’est la couleur des bourreaux et du feu qui brûlait les hérétiques sur le bûcher). C’est la couleur des guerriers, de l’amour et des passions, de manière positive ou négative : les empereurs romains, les rois européens et le Pape en était vêtu, les prostituées devaient porter un ruban rouge, signe de leur infamie et chevalier vêtu de cette couleur signifiait qu’il venait d’un autre monde, annonçant souvent une catastrophe. La qualité du rouge faisait souvent la différence dans sa signification noble ou parjure.

Dans l’Antiquité le bleu était peu utilisé et n’existait pas dans le vocabulaire latin. Le mot vient de la langue germanique et de l’arabe. Les archéologues du XIXème siècle avaient même été amenés à se demander si les Anciens voyaient cette couleur. L’absence du bleu se justifiait par sa connotation « barbare ». Cette couleur était bannie de la société, jusqu’au XIIe siècle, où ce devint une couleur appréciée. Le bleu a longtemps été associé au deuil, à la Vierge avec des valeurs de loyauté et de justice. Sa symbolique mauvaise l’associait à la bêtise et la bâtardise. La représentation de la mer en bleu ne date que du XVIIe siècle, auparavant elle était vue comme verte et grise. Aujourd’hui, elle est majoritairement considérée comme la couleur préférée.

A l’inverse, le jaune a connu beaucoup de considérations à ses débuts. Couleur des épis de blé, puis des premiers métaux (l’or et le bronze, devenus monnaie), le jaune est depuis des millénaires associé à la prospérité, l’abondance et la richesse. Par la suite, son acceptation a évolué et est devenue un sous-blanc. De la couleur du Christ et de la lumière divine, elle fut associée à Judas et tous les non chrétiens. Ce devint le symbole d’exclusion et Saint Louis en fit la couleur des juifs et musulmans au XIe siècle. Complètement « diabolisée », elle représentait la maladie et l’automne (dans le sens du déclin de la nature), associée au vert, elle exprimait la folie.

Avant le XII-XIIIème siècle, il n’y a aucune trace écrite sur la symbolique du vert, ce n’était alors qu’une couleur sombre, un noir particulier. Par après elle a acquis une double signification : de vie (associé au printemps et à la vigueur de la jeunesse, associée à un saint, elle symbolisait l’éternité), de sexualité, rébellion contre l’ordre et de débauches (les premiers diables étaient peints en vert). Peut-être parce qu’il a été longtemps la couleur la plus instable en teinturerie, son caractère était aléatoire, fugace et instable. Le vert est depuis toujours lié au hasard ou au sort, à la chance comme à la malchance. C’est aussi l’amour volage, la fougue, la jalousie.  Mais dans tous les cas, le vert marque le désordre et est une couleur à part. Le vert peut attirer le malheur et c’est pour cela qu’on évitait de la porter (d’où sa rareté dans les vêtements et des armoiries médiévale, sauf dans l’empire germanique).

Le gris a longtemps été considéré comme un mélange de toutes les couleurs plutôt qu’un médium entre le blanc et noir. Ce n’était pas, comme de nos jours, une couleur triste, mais joyeuse, vivifiante puisque polychrome. Par son caractère polychrome il marquait l’alliance entre la lumière divine de la création et l’ombre du péché et de la mort.